Comment les étudiants vivent-ils la crise sanitaire ?
- Nina
- 24 janv. 2021
- 12 min de lecture
Depuis maintenant bientôt un an, notre quotidien a énormément changé avec la distanciation sociale, les confinements, les mesures sanitaires et la crise économique engendrés par la Covid-19 …
Face à cette pandémie mondiale, la santé mentale, la situation financière et la situation sociale de nombreuses personnes se sont dégradées. Les restaurateurs, les travailleurs de la nuit, les professionnels de la culture ne peuvent plus exercer leur métier. Les personnes âgées et les personnes à risque doivent s'isoler pour mieux se protéger et l'isolement peut causer de nombreux dégâts sur notre santé mentale. Les infirmiers, les aides-soignants, les médecins, les internes, les ASH et tous les autres professionnels de santé sont épuisés. Parmi eux, nous avons aussi les étudiants qui ont perdu leur travail, qui ont des difficultés à trouver des alternances, qui sont isolés, qui décrochent scolairement et se sentent oubliés. L'éducation bâclée des professionnels de demain a des conséquences à court terme mais aussi à long terme. Cela a malheureusement engendré une augmentation du taux de suicide chez les étudiants. La situation actuelle des étudiants en France est alarmante. Aujourd'hui, je vais donc leur donner la parole pour qu'ils puissent nous parler de leur ressenti.
Etudiante en DUT information et communication à Paris : "Déjà qu'avec la charge de travail que j'ai, je n'ai pas le temps de sortir mais avec le couvre-feu ou le confinement, la situation est encore pire. J'ai l'impression d'être punie, privée de toutes sorties alors que toute la journée je la passe déjà chez moi. Je travaillais énormément avant la Covid mais en distanciel, les professeurs nous en rajoutent encore plus en pensant que c'est tout à fait normal de rester de 9h à 18h devant un ordinateur non-stop. J'ai un emploi du temps rempli pendant cinq jours et demi (j'ai cours le samedi matin pour couronner le tout). J'ai beaucoup de travaux à rendre et je n'ai même pas le temps de respirer entre chacun d'entre eux. Quand je n'ai rien à faire, pour moi, c'est bizarre tellement que c'est improbable. Je n'ai presque plus de vie sociale. C'est horrible quand tu es jeune de ne plus pouvoir sortir comme avant. Je ne sors plus, je n'ai plus de soirées, je n'ai plus personne à voir et de sorties intéressantes à faire étant donné que tout est fermé. On perd du temps qui nous est précieux pour profiter, s'amuser, faires des rencontres… Ce sont des mois de perdus. Nos années de jeunesse sont gâchées. On ne s'en rend plus compte mais même se promener sans masque, c'était normal mais si bien, on se voyait sourire et rigoler alors qu'aujourd'hui tout le monde semble triste et déprimé. Il n'y a plus aucune joie de vivre.
Tous ces confinements m'ont rendu insociable et moins joyeuse. Maintenant, les gens me saoulent vite, je me lasse des personnes de ma classe et je n'ai qu'une envie, c'est de voyager à l'autre bout du monde pour oublier tout ça et retrouver une certaine liberté, "revivre".
C'est déprimant cette situation qui n'a pas de fin, on vit sans savoir quand tout s'arrêtera et on ne peut plus prévoir de projets par peur qu'ils s'annulent. On a plus d'objectifs, on a simplement hâte que ce virus disparaisse.
On essaie de tenir le coup mais c'est très épuisant. Ma vie est devenue déprimante. Je sais qu'il y a des gens qui ont des situations pires que la mienne, qui ont des problèmes plus graves, mais même moi, je ne vis plus, je survis."
Etudiante dans une école de comédie musicale à Créteil : "J'ai arrêté mes études en école de comédie musicale à cause de la Covid. A partir de la fin de l'année dernière, on a commencé à être en distanciel. Or, payer une école 10 000 euros pour apprendre le chant, la danse et le théâtre sur Zoom, cela n'est pas possible. J'ai donc décidé de partir et de trouver un travail, mais trouver un emploi dans le domaine artistique pendant cette période, ce n'est pas ce qui a de plus facile. Ceux qui sont restés doivent travailler avec des masques pour danser et chanter, c'est très difficile. L'école ne nous a même pas proposé de réduction sur le prix de l'année, aucun geste de leur part. Je le vivais hyper mal, car j'avais l'impression de ne pas être allée au bout de ce que je devais faire. Je ne pouvais pas me permettre de payer une année de plus alors que je savais que ça n'allait rien m'apporter. En soi, je ne regrette pas car j'ai pu trouver un travail dans lequel je m'épanouis. On devait faire des spectacles de fin d'année et nous n'avons rien fait depuis près d'un an. Donc c'est compliqué."
Etudiante en soins infirmiers à Strasbourg : "Être étudiant dans le domaine de la santé n'est pas ce qu'il y a de plus facile en ce moment. D'un côté, nous sommes étudiants et beaucoup d'entre nous ressentent cette détresse psychologique liée aux cours en distanciel, mais de l'autre, nous connaissons l'importance des mesures sanitaires car nous avons vu les professionnels de la santé épuisés, au bord de la démission. Je suis en première année donc, contrairement aux autres étudiants, nous n'avons pas été mobilisés pour aider dans les hôpitaux et les EPHAD. La FNESI (Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers) a récolté de nombreux témoignages qui expriment un manque de considération et d'encadrement des étudiants en soins infirmiers. En effet, dans certaines régions (exemple : PACA), des étudiants ont vu leur formation s'arrêter pour être utilisés en tant que main d'œuvre. Les patients d'aujourd'hui et de demain sont en danger par cette absence d'encadrement et de formation que reçoivent les étudiants actuels et les étudiants en santé sont eux même en danger par l'absence de considération pour leur santé physique et mentale.
Pour ma part, ma formation continue, mais je ressens énormément les conséquences de la Covid. Pendant la dernière semaine de mon stage, lors du deuxième confinement, nous avons dû déménager pour que notre service devienne un service Covid. Cette dernière semaine a donc été très éprouvante car nous avions moins de patients mais ces patients avaient tous eu de très grosses opérations, leurs pansements prenaient parfois plusieurs heures. Les infirmières étaient épuisées car elles n'avaient pas le temps de tout faire étant donné que les effectifs avaient diminués, une partie des infirmières de notre service étaient parties en service Covid. Elles se retrouvaient donc seule à devoir tout gérer. Elles n'avaient alors plus le temps de s'occuper de moi pour forger mon apprentissage. Pendant cette dernière semaine de stage, je ne me posais même pas une minute pour pouvoir soulager une partie du travail des infirmières. Gagner moins de 80 centimes de l'heure en tant qu'étudiant lors de nos stages, c'est de l'exploitation, surtout à ce moment-là où cela n'était plus de l'apprentissage mais un réel travail. Même si j'ai adoré mon stage, j'étais quand même contente quand il s'est fini, j'étais épuisée.
Les mesures sanitaires ont aussi eu un réel impact sur ma santé mentale ; car oui, je suis aussi étudiante et comme la plupart des étudiants, je n'en peux plus des cours en distanciel. Mon niveau de concentration face à mon ordinateur ne dépasse même pas 20 minutes, je dors presqu'à chaque cours et mes études me passionnent beaucoup moins qu'au début de l'année. J'adorais mes cours en présentiel car nous avons la chance d'être dans des classes de 20 élèves et beaucoup de nos cours sont dynamiques. Sur la plateforme en ligne, nous perdons ces échanges, cela rend les cours bien moins captivants. De plus, en tant que première année, tous les événements pour créer une cohésion au sein des étudiants ont été annulés. On nous a fait rêver en nous parlant de la vie étudiante, cette vie-là n'est clairement pas digne d'un rêve. J'ai besoin de retourner en cours, je n'en peux plus de l'isolement social. Je suis quelqu'un qui habituellement a un rapport très sain avec ma santé mentale mais depuis plusieurs mois, j'ai beaucoup de moments très sombres. Mes proches me décriront comme souriante, incarnant la joie de vivre, un rayon de soleil mais ce rayon de soleil s'éteint plus vite que ce que l'on imagine ; car oui, même moi j'ai eu des pensées suicidaires et je pense sincèrement que l'on est bien plus nombreux que ce que vous croyez. Je veux voir mes amis, je veux faire mes cours en présentiel, je veux rencontrer de nouvelles personnes, je veux aller danser, boire un verre, je veux aller en concert, en festival, je veux respirer, mais surtout, je veux vivre. Je sais que la plupart de ce dont j'ai envie n'est pas réalisable et je veux aussi protéger les personnes à risque. J'ai perdu quelqu'un de ce virus et je ne veux pas en perdre d'autres, mais je ne veux pas non plus perdre des amis de troubles psychologiques. Je souhaite simplement que l'on nous donne un espoir, pour que l'on puisse au moins s'accrocher. "

Etudiante en ingénierie à la Rochelle : "Je suis étudiante en école d'ingénieurs à la Rochelle et je vis seule dans un 16m².
Le confinement n'a pas été quelque chose de simple, suivre des cours en visioconférence toute la journée n'est vraiment pas facile car nous n'avons aucun rythme de vie.
Et puis quand toute la résidence utilise la bande passante, il arrive souvent que la visio du prof "saute" ce qui rend la compréhension du cours d'autant plus fatigante. Et si jamais on décroche ne serait-ce que 10 minutes, il est très difficile de retourner dans le cours et c'est donc fréquemment que l'on en rate l'intégralité. Le fait de manquer des cours est très démoralisant, cela entraîne une grande culpabilité car on se dit que l'on décroche et que c'est de notre faute puisqu'on doit "juste se concentrer". C'est un cercle vicieux, nous sommes démoralisés, donc on s'accroche moins et l'on travaille moins, mais puisque l'on travaille moins, on ne comprend plus et ça nous démoralise…
Mais le confinement impacte la santé mentale de tous les étudiants donc même ceux qui tiennent doivent aider les autres.
Pour ma part, je fais partie de ceux qui vont bien, j'accumule du retard, trop de retard. Mais aujourd'hui, je suis convaincue que ces études me conviennent, et même si je rate ce semestre à cause du distanciel, au pire, je redoublerai mais j'arrive encore à me projeter dans l'avenir et je sais que je ne suis pas seule, contrairement à certains.
Cependant, pendant mes partiels, j'ai dû m'occuper de l'un de mes amis, qui allait bien avant le confinement, mais la nuit précédant le dernier jour des partiels, il a fait une crise de panique à 1h du matin. A ce moment-là, j'ai eu conscience du choix que cela représentait : soit je choisissais d'être égoïste et laissais mon ami seul, pour me concentrer sur les partiels ; soit je m'occupais de lui et prenais le risque de rater l'épreuve du lendemain. J'ai donc dû choisir entre ma réussite scolaire et mes valeurs humaines. Nous avons donc tous les deux, raté ces partiels.
Mais à peine trois jours plus tard, cette même personne a fait une crise d'angoisse qui a duré plusieurs heures. C'est donc à 2h30 du matin que j'ai décidé de l'emmener à l'hôpital pour urgence psychiatrique car j'étais dans l'incapacité de m'occuper de lui et je ne pouvais pas le laisser seul pour des raisons évidentes. J'ai donc appelé deux autres de mes amis pour qu'ils m'aident à l'emmener à l'hôpital car je ne me sentais pas d'y aller seule à cette heure-là. Arrivés à l'hôpital, à 3h30, on nous a obligés à le laisser seul à cause de la Covid. Aujourd'hui il n'est toujours pas sorti.
Et ce n'est pas rassurant, car il n'est pas un cas isolé et tout le monde le sait. Je serais incapable de dire le nombre d'étudiant en détresse mais je pense qu'il est plus qu'important, d'après ce que j'ai vu pendant nos partiels qui étaient en présentiel. Beaucoup d'élèves quittaient la salle à peine 20 minutes après le début des épreuves, d'autres pleuraient…
Mon école a fait tout son possible pour nous, et ils nous accompagnent dans cette période difficile et puisque nous avons tous beaucoup de mal, l'école a donc réajusté tout le deuxième semestre et l'année prochaine également. Honnêtement, on a (les étudiants de mon école) de la chance d'être soutenus à ce point.
On reprend les cours (TD et TP) en présentiel lundi, j'espère que ça ira mieux."
Etudiante en L1 psychologie à Toulouse : "Le contexte sanitaire et les cours à distance m'ont fait complétement décrocher, actuellement je ne suis plus en L1 de psychologie. Je pense que si on avait eu cours en présentiel, j'aurais tout de même compris que ces études ne me plaisaient pas mais les cours en distanciel m'ont fait lâcher plus vite. J'ai donc changé pour une filière de maths associées aux sciences humaines car mon option de maths était le seul cours où je n'avais pas décroché et j'ai fini par comprendre que c'était cette matière qui m'intéressait. Je pense que je ne suis pas la plus à plaindre, j'ai des amis qui sont beaucoup plus en difficultés que moi, j'ai la chance de bien m'en sortir financièrement grâce à ma famille. Pour les cours, cela a quand même été difficile et je pense que même si ces études m'avaient plu, j'aurais tout de même décroché. C'est vraiment dur de se dire en te levant le matin que la seule chose que tu vas voir de ta journée, c'est ton appartement et ton ordinateur. J'ai vraiment du mal à travailler si je n'ai pas de satisfaction derrière, avoir une activité à faire après pour me pousser à finir mes travaux, et là avec les cours en ligne et le confinement, ce n'était vraiment pas facile, d'autant plus que j'ai vécu une rupture à ce moment-là. Lorsqu'ils ont annoncé le deuxième confinement, c'était le jour où j'ai enfin commencé les cours en présentiel, j'en ai pleuré. Je recommençais enfin à vivre en visitant ma nouvelle ville, en reprenant le sport et on m'annonce ça. Deux semaines plus tard, il y a eu ma rupture, j'ai juste abandonné. J'ai eu la chance de pouvoir rester chez ma tante pendant un mois et cela m'a fait vraiment du bien. Je ne pense pas que je n'aurais survécu si elle n'avait pas été là. Depuis que l'on est déconfiné, je vais un peu mieux, j'ai pu voir du monde et cela m'a fait du bien. Il y a des moments j'aimerai vraiment renverser le monde. Si moi, qui ne suis pas la plus à plaindre, j'arrive à avoir des pensées suicidaires, je n'imagine même pas les personnes qui ont des difficultés financières. Il faut vraiment trouver un autre fonctionnement, ce n'est plus possible de continuer comme ça."

Etudiante en soins infirmiers à Strasbourg : "Alors alors, le distanciel, quelle belle idée ! Non, plus sérieusement, si je devais trouver un point positif, ça serait de ne plus "perdre" du temps dans les transports parce qu'effectivement, à ce niveau-là, c'est beaucoup plus pratique ! Mais je crois que malheureusement, c'est le seul. Je suis quelqu'un qui a besoin de relations sociales et ne plus pouvoir aller en cours me pèse. En plus de ça, ma motivation a dégringolé et j'ai beaucoup de mal à me concentrer quand je travaille à la maison. J'ai l'impression de travailler dans le vide en quelque sorte et ce n'est vraiment pas terrible comme sensation.
Après, je ne suis pas à plaindre, parce que je peux voir ma famille et ne suis pas complétement seule et heureusement ! J'aurais déjà craqué sinon. Quand je vois le nombre d'idées noires chez les jeunes en ce moment, ça m'attriste beaucoup."
Etudiante en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives) à Paris "Je suis en 3ème année de STAPS, spécialité Activités Physiques Adaptées et Santé pour devenir enseignante en APA et travailler dans le monde de la santé avec les personnes en situation de handicap. Le problème de cette crise sanitaire fait qu'on a tous les cours en visio, alors que notre licence doit être faite en présentiel pour intervenir auprès de publics, mettre en place des activités, des séances pour des personnes en situation de handicap (matériel nécessaire). De plus, en STAPS, la moitié des cours, c'est de la pratique physique et doit se passer en présentiel. Qui dit distanciel, dit ne plus avoir de pratique physique. Cela engendre la sédentarité, l'inactivité physique. Or, le sport est un moyen de se divertir, fait du bien au mental et permet de voir du monde. Nous en L3 APAS, ce n'est pas forcément le décrochage scolaire. Cela concerne plutôt les étudiants de 1ère année car ils n'ont jamais appris à l'université en présentiel. Les cours en visio, ne pas voir les professeurs et ne pas avoir de lien humain, c'est difficile. On peut aussi parler de précarité étudiante car j'ai des amis qui vivent seuls dans une chambre, avec quasiment rien du tout étant donné qu'ils n'ont plus de job étudiant. Décrochage, isolement, précarité, c'est un cercle vicieux. En APAS, ma journée type : se lever 20 minutes avant le cours ; de 8h à midi, cours en visio ; de midi à 13h, pause déjeuner ; puis cours en visio de 13h30 à 18h. Avec le couvre-feu, je ne peux plus sortir. Douche, dîner puis coucher. Notre chance, c'est d'avoir cours par rapport à certains, qui n'ont pas cours du tout ou la moitié seulement. Nous pouvons donc apprendre. Tout cela engendre une peur sur la valeur de notre diplôme et de notre apprentissage. On se pose la question de savoir comment on va pouvoir prendre en charge les patients, alors qu'on n'aura quasiment pas pratiqué pendant un an. On a peur de ne pas être à la hauteur à la fin de nos études, dans 4 mois.
On a passé les examens en présentiel. Or on a tout appris en distanciel et on n'a pas remis les pieds une seule fois à la faculté depuis octobre. De plus, les règles de distanciation n'ont pas été respectées, nous étions plus de deux cents étudiants dans un gymnase à moins d'un mètre les uns des autres.
Nous, étudiants en STAPS, nous demandons le retour des activités physiques afin de contrer l'isolement social et la peur d'un diplôme dévalorisé. Nous organisons une mobilisation de tous les étudiants, le 26 janvier à Jussieu à 14h, venez nombreux !"
Merci à tous les étudiants qui ont pris la parole pour nous partager leur quotidien actuel. N'oubliez pas de prendre des nouvelles de votre entourage, nous vivons dans une période où il y a une augmentation non négligeable de troubles de la santé mentale. Si vous avez besoin de parler (en appel ou par messages), il existe une association d'écoute gratuite, tous les soirs de 21h à 2h30, Services d'écoute | Nightline. N'ayez pas peur de demander de l'aide.
Nous voulons être entendus, donc si vous en avez la possibilité, allez manifester, exprimez-vous pour qu'il y ait du changement, pour que notre craquage psychologique soit pris en considération.
Prenez soin de vous.
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